Quand un professeur nous déçoit
Un texte de Gabriel Rocheleau, initialement publié en 2018
J’étudiais déjà depuis plusieurs années avec John Yates (Culadasa), mon professeur de méditation, quand j’ai appris qu’il avait été retiré de sa position d’enseignant en raison d’inconduites morales[1]. En recevant cette nouvelle, je me suis senti affligé et découragé. Pourtant, avec le recul, je pense que ces circonstances auront eu un impact positif sur ma pratique. La situation m’a obligé à réfléchir à mes attentes et à revoir ma pratique de la méditation.
Placer l’enseignant sur un piédestal
Le fait que j’ai été déçu par l’inconduite de Culadasa révèle que j’avais projeté mes idéaux et aspirations sur lui. Pourtant, mon professeur n’a jamais demandé à être pris pour un saint, ni à servir d’exemple de vertu morale. Lors de nos rencontres, il mettait régulièrement ses élèves en garde contre le « modèle du gourou », un modèle qu’il rejetait fermement. Il croyait que d’exiger d’un humain qu’il réponde aux standards d’un saint était irréaliste et dangereux.
Or, la tendance de l’esprit est de voir les livres, les enseignants et les techniques à travers des lentilles dogmatiques. Au lieu de séparer le bon grain de l’ivraie, l’esprit a tendance à rejeter complètement les enseignements, ou bien à les accepter aveuglément. Avec le recul, je constate qu’au début de ma formation d’enseignant, j’ai pris la voie facile et irréfléchie. J’ai suspendu ma pensée critique. J’ai placé Culadasa et ses enseignements sur un piedestal, l’élevant du même coup au-dessus de toute critique.
En faisant cela, je me suis fait un tort immense. Non seulement j’ai transformé les enseignements en quelque chose d’étroit et d’absolu, mais j’ai aussi cessé de prendre la responsabilité de mon propre chemin, un des principes fondamentaux du bouddhisme. J’ai donné plus d’importance à un cadre qu’à ma propre expérience. J’ai fait tout le contraire de ce que les pratiques de méditation m’enseignaient.
Oublier la multiplicité, nourrir le dogme
Dans le passé, j’ai toujours inclus des techniques de méditation provenant de différentes traditions dans ma pratique. Par exemple, lorsque j’avais besoin d’une pause dans les soucis du quotidien et que je voulais me détendre l’esprit, je pratiquais Ānāpānasati. Lorsque mon corps était endolori ou malade, je balayais mes sensations et remarquais leur aspect impermanent. C’est ce qu’enseigne Goenka lors des retraites Vipassana de 10 jours. Lorsque les instructions formelles de méditation perdaient de leur vitalité, j’écoutais des discours de Mooji, un maître spirituel connu pour ses discussions éloquentes et de grande profondeur. Et quand les choses devenaient trop intenses, j’utilisais la technique Mahasi qui consiste à noter et identifier les sensations corporelles.
Le critère avec lequel je mesurais l’efficacité d’une technique était sa capacité à me conduire vers des états et des révélations significatives. Pourtant, en tant que professeur en formation, j’ai hésité à inclure d’autres techniques dans mes enseignements et dans ma pratique quotidienne. J’ai trouvé du réconfort dans l’idée que j’avais découvert le cadre qui « avait tout pour plaire » . Plus besoin de chercher; je devais simplement m’entraîner. J’avais oublié l’importance de la multiplicité.
Entretenir des attentes démesurées
Dans son parcours de professeur, Culadasa s’était engagé à prendre des préceptes de méditation. Il avait pris des vœux comme par exemple celui de s’abstenir de faux discours ou d’inconduites morales. Dans certaines sphères de méditation, il s’agit d’un engagement presqu’aussi important que celui de devenir moine. Il est préoccupant que Culudasa se soit engagé à respecter ces vœux puis les aie rompu, mais ce n’est pas ce qui est le plus dérangeant dans la situation. Fondamentalement, ce qui dérange est la rupture des idéaux concernant la pratique de méditation. Un méditant peut espérer que sa pratique démêlera comme par magie le gâchis psychologique qu’il appelle « moi », ou qu’elle guérira ses relations troublées et ses traumatismes. Il s’avère en fait que la méditation ne peut redresser la vie du méditant à sa place. Il s’agirait d’une attente démesurée.
Après la déception : raviver la flamme
Lorsque mon professeur est tombé du piédestal sur lequel je l’avais placé, ma pratique de méditation s’est ternie. J’ai perdu l’intensité, la couleur joviale et la vivacité qui m’habitaient initialement. Pour raviver ma flamme, j’ai fait de l’espace pour de nouvelles découvertes et opportunités. Maintenant, je ne compte plus pratiquer uniquement les techniques enseignées par ce professeur.
Toutefois, je serais fou de rejeter toute la valeur contenue dans les enseignements de Culadasa. De même que ceux partagés dans son œuvre The Mind Illuminated. Quels que soient les comportements déplacés dont il s’est rendu coupable, ses enseignements m’apportent encore des bienfaits. La situation me sert d’avertissement. Dans la méditation comme dans la vie, je ne devrais jamais élever l’autorité d’un enseignant ou d’un cadre au-dessus de mon agentivité. Ni tenter de façonner mon expérience pour qu’elle corresponde à un modèle particulier. L’expérience devrait guider mon cheminement et la méditation demeurer ce qu’elle est, soit un outil de découverte expérientielle.
Expérimentez!
Alors, je vous invite à expérimenter pleinement tout ce qui survient et disparaît dans votre conscience. Ne retenez rien. Amusez-vous avec votre pratique de méditation ! Explorez et ajustez, voyez ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Ne vous inquiétez pas de ne pas le faire correctement. Notez le doute lorsqu’il survient. Laissez la pleine conscience dissoudre les parties de vous qui ne vous servent plus. Laissez-vous guider – mais ne pourchassez rien – par ce qui sonne vrai et significatif en vous. Insistez et cultivez – mais ne saisissez pas – les aspects de votre expérience qui favorisent la joie et la clarté mentale. Ne croyez pas tout ce que vous pensez de votre pratique. Faites confiance et observez votre expérience inaltérée, animale et brute de ce moment même. Ce chemin produira des fruits qui étancheront une profonde soif dont vous ignoriez la présence.
[1] Une note de la part de Camille : j’aimerais mentionner ici que la nature des inconduites n’est pas importante pour les propos de cet article. Pour satisfaire les esprits les plus curieux, les inconduites en question concernent le fait que John Yates, en relation ouverte avec sa femme, a eu recours aux services de travailleuses du sexe. Ces gestes, qu’on les juge immoraux ou non, représentent un bris des vœux qu’il s’était engager à respecter.
Le texte de Gabriel vous parle ?
Gabriel enseigne la méditation et partage ses expériences sur le Web. Vous pouvez suivre ses méditations guidées (en anglais) sur Insight Timer ou encore découvrir ses différentes offres de méditation sur son blogue UP Development (en anglais).
Gabriel a suivi plusieurs retraites Vipassana de la tradition Goenka. Il a aussi passé plusieurs semaines en Birmanie dans le monastère Pa Auk Tawya sous la guidance de Bhikkhu Revata. Depuis quelques années déjà, il est un enseignant accrédité de John Yates (Culadasa) auprès duquel il a suivi une formation de trois ans.