Yoga en toxicomanie et santé urbaine
Enseigner m’amène de plus en plus vers des contextes d’enseignement nécessitant des approches spécialisées. Ces situations m’invitent à repenser mes séances de yoga pour mieux servir le groupe ou la personne devant moi.
Dernièrement, j’ai pu bâtir un projet avec une amie ergothérapeute qui travaille dans une unité hospitalière pour les personnes vivant avec un problème de consommation de substances, souvent associé à une situation de précarité. Il s’agissait de mettre à l’essai de courtes séances de yoga auprès des usagers du service. Ces séances duraient entre 20 et 30 minutes. Elles pouvaient répondre à différents besoins que nous avions identifiés et servaient d’activité d’intervention de groupe. Les essais réalisés furent bien accueillis par les usagers, en plus de nous enrichir, mon amie et moi, sur le yoga en toxicomanie et santé urbaine.
Taux de roulement élevé et conditions complexes
Le projet représentait tout un défi en raison du contexte atypique. C’était la première fois que je rencontrais une clientèle vulnérable et marginalisée. Malgré mes bonnes intentions, j’arrivais tout de même avec des préjugés. En toute honnêteté, j’avais peur de me retrouver devant des usagers agressifs ou avec qui communiquer serait difficile. Il faut dire que je mettais les pieds dans des services en dépendance pour la première fois et que je n’avais jamais offert de cours de yoga dans un contexte communautaire. Au contact des participants, mes craintes se sont rapidement dissipées. J’ai réalisé que je ne devais pas agir différemment qu’avec mes élèves habituels. Je devais simplement rester à l’écoute de leurs besoins, comme c’est le cas dans chacun de mes cours.
Cependant, il n’y a pas que le contexte de services en dépendance qui rendait ces cours de yoga particuliers. Dans cette unité, le taux de roulement des usagers est élevé. Certains restent plusieurs semaines voire mois dans l’établissement, mais beaucoup séjournent moins d’une semaine. Je devais donc m’attendre à ne passer qu’une seule séance avec chacun des usagers. Au final, j’ai pu revoir quelques élèves deux fois, mais je n’ai passé qu’un court moment avec la majorité.
Enfin, les services de cette unité sont offerts à une clientèle avec des conditions de santé physique et mentale multiples. Dans une même séance de yoga, j’ai dû intervenir auprès d’individus présentant des états de santé variés sans connaître les détails de leurs conditions. À des fins d’illustrations, mon amie ergothérapeute m’a décrit quelques cas fictifs, mais similaires à ceux auxquels j’ai pu être exposée durant le projet pilote. Il pouvait y avoir par exemple, dans un groupe de trois personnes, un homme atteint de troubles cognitifs, d’arthrose à la colonne, de surdité et d’un trouble lié à l’usage d’alcool; une femme vivant avec un trouble de personnalité limite, polytoxicomane et en situation d’itinérance; et un individu ayant un trouble du spectre de l’autisme, un trouble lié à l’usage d’alcool et de l’arthrose dans les genoux.
Avec un tel contexte, je devais, encore plus qu’à l’habitude, respecter mon rôle de professeure de yoga et celui des autres intervenants. J’étais là pour offrir des exercices physiques, des techniques de respiration et des instructions de méditation cohérents avec la réalité des élèves. Je devais laisser à mon amie ergothérapeute le rôle d’encadrer l’intervention et de choisir qui, parmi les usagers hospitalisés, seraient apte à participer.
Le choix d’une intention cohérente
Dès la première séance, j’ai rapidement compris l’importance d’établir une intention avant chaque pratique. Une idée claire quant au but de la séance permettait aux usagers de savoir à quoi s’attendre et orientait mes prises de décisions sur, entre autres, les exercices à intégrer ou proscrire.
Cette intention devrait rester simple et être choisie en fonction des usagers présents. Chaque jour, les usagers et leur humeur pouvaient changer. Mon amie ergothérapeute et moi décidions donc d’une orientation quelques minutes avant la séance. À titre d’exemple, je vous partage un répertoire d’intentions pour une séance de yoga en groupe dans un contexte de services hospitaliers en dépendance. Pour chaque exemple, j’ai mentionné ce qui nous a amené à considérer cette intention.
- Découvrir le yoga – Rares étaient les usagers qui avaient déjà fait du yoga. Certains arrivaient avec la crainte de ne pas être à la hauteur de l’activité tandis que d’autres se montraient curieux.
- Respecter ses limites – Certains usagers avaient tendance à exagérer la force qu’ils mettaient dans les mouvements ou à ne pas exprimer leurs inconforts lors des exercices.
- S’offrir un moment calme, de ressourcement – Les usagers vivaient tous un moment d’hospitalisation impliquant plusieurs rencontres et examens. La plupart venaient également de vivre des évènements stressants ou se présentaient dans un état de stress.
- Découvrir des mouvements confortables – Plusieurs usagers ne se sentaient physiquement pas confortables en raison de douleurs ou de tensions. Je les invitais à découvrir des variations dans les postures pour en trouver qui leur fourniraient davantage de confort.
- Bouger légèrement, se dégourdir – Certains usagers, en situation de sevrage, ressentaient des douleurs et bouger leur faisait du bien. La plupart ne pouvaient pas sortir comme ils voulaient de l’établissement et le yoga était une occasion pour eux de se dégourdir.
La force de l’équipe multidisciplinaire
Même lorsque le groupe d’usager était petit, la présence de deux intervenants était pertinente et nous aidait à mieux encadrer la séance de yoga. Nos rôles, définis par nos spécialités respectives, permettaient de fournir l’attention nécessaire aux usagers en plus de faciliter leur évaluation, lorsque nécessaire. J’animais la séance en proposant une série d’exercices choisis selon l’intention préétablie. Mon amie devait intervenir si un problème se présentait avec un élève. Parfois, le problème était simple, comme le besoin pour un verre d’eau. Connaissant mieux les usagers que moi, elle structurait aussi l’activité selon les limites physiques et proposait des temps d’arrêt lorsque nécessaire. C’est également elle qui animait le retour sur l’activité en fin de pratique.
Un rythme lent et un cours épuré
Intervenir en toxicomanie et santé urbaine, c’est devoir considérer que le groupe a un bagage complexe de traumatismes. Il faut prendre en compte que les participants ont pu vivre des violences physiques, psychologiques et sexuelles. Par conséquent, même lorsque les usagers étaient physiquement aptes à exécuter des mouvements dynamiques, la séance devait être épurée et douce. De plus, il arrivait souvent qu’au moins un usager ne puisse pas exécuter de mouvements au sol ou debout. J’ai donc toujours opté pour des cours sur chaise. Les mouvements devaient être faciles à comprendre, ainsi qu’exécutés et expliqués lentement. Je ramenais aussi souvent les mêmes éléments d’un exercice à l’autre. Finalement, j’interrompais les exercices régulièrement pour permettre aux participants d’intégrer l’expérience ou de se reposer d’un exercice.
À titre indicatif, voici un plan de cours que j’ai utilisés lors d’une séance où les usagers présentaient un niveau d’anxiété élevé.
- Introduction – ±5 min. Prendre le temps d’accueillir son état d’esprit et prendre conscience de sa respiration. Trouver une posture assise confortable.
- Exercice de respiration – ±5 min. Les mains sur le ventre, inviter une respiration détendue et abdominale. Puis, les mains sur les côtes, engager un peu plus la respiration pour créer plus d’espace dans cette région du corps. Finalement, en respirant encore amplement et calmement, déposer les mains sur le haut de la poitrine et remarquer le mouvement du souffle dans cette région.
- Mouvements doux – ±5 min. En gardant la posture assise, exécuter des mouvements de dos rond et de dos creux. Puis, en maintenant le dos long, au besoin soutenu par le dossier de la chaise, laisser les bras bouger avec le souffle. À l’inspiration, les bras se soulèvent. À l’expiration, on les ramène vers les cuisses.
- Méditation en posture de réconfort – ±5 min. Si possible et confortable, croiser une jambe sur l’autre. Placer un oreiller ou un coussin sur le ventre et le serrer avec les bras. Garder les yeux ouverts ou fermés, au choix. Prendre le temps d’accueillir comment on se sent et prendre conscience de sa respiration. Trouver une zone dans le corps qui est agréable ou moins douloureuse que les autres (cela peut être, par exemple, le bout du nez). Se concentrer et méditer sur cette zone.
- Retour après séance – ±5 min. Laisser à chaque participant le temps d’exprimer ce qu’il a vécu, que ses commentaires soient positifs ou non. Cette portion de la séance était animée par mon amie ergothérapeute.
Le retour après séance
Après chaque séance de yoga, mon amie animait un retour sous forme de discussion. Cela permettait aux usagers de s’exprimer sur le service reçu. C’était aussi pour nous l’occasion de noter ce qui avait bien ou moins bien fonctionné du point de vue des participants.
Offrir des cours de yoga en toxicomanie et en contexte d’hospitalisation m’a plongé directement dans une approche du yoga qui me passionne. Ce projet m’a notamment permis de concrétiser des enseignements reçus lors de ma formation de yoga en approche thérapeutique. En me basant sur les commentaires émis par les participants, je comprends que l’expérience a aussi été positive pour eux. Certains ont exprimé se sentir plus calmes après la séance, certains auraient aimé que cela dure plus longtemps et d’autres auraient parfois souhaité que les mouvements soient plus longs ou au sol. L’expérience a justement été enrichissante pour tout le monde parce que chacun avait la possibilité d’exprimer son appréciation, quelle qu’elle soit.
Si le yoga adapté vous intéresse particulièrement, vous serez bien servi en parcourant plusieurs articles de mon blogue. Voici quelques lectures pertinentes :